Yao Shouting est une ancienne filleule de Couleurs de Chine, diplômée en 2016. Elle a entrepris une campagne de collecte de fonds pour soutenir la France pendant l’épidémie, et 1 100 masques ont été donnés à la ville de Nancy grâce à cette campagne qui a réuni plus de 60 personnes, dont la plupart sont ancien(ne)s filleul(le)s. Nous l’avons interviewée pour mieux connaître cette belle histoire humaine.

Cet interview a été réalisé en juin 2020

Pourrais-tu nous parler un peu de toi ?

Je m’appelle Yao Shouting, anciennement Yao Peishou. Je suis née en 1995. En 2001, j’ai commencé à recevoir l’aide de Fang-Fang et les parrains et marraines, ce qui m’a permis enfin d’aller à l’école. J’ai obtenu mon diplôme universitaire en 2016 et travaille maintenant au Parquet Populaire de Liuzhou.

Comment l’épidémie Covid-19 a-t-elle impacté ta vie et ton travail ?

La propagation de l’épidémie en Chine a en effet affecté notre vie et travail quotidien. Pendant cette période difficile, il nous était difficile d’acheter du matériel de prévention pour la santé. Heureusement, nous étions en quarantaine et n’en avions pas beaucoup besoin. De temps à autre, nous sortions pour faire des provisions, et il était possible de nous protéger. Notre plus grand souci a été de préserver nos revenus pendant l’épidémie. En tant que salariés, nous avons une pression financière importante, surtout compte tenu des besoins de nos parents, de nos enfants et des remboursements bancaires pour la voiture et l’appartement. Ce que je craignais, c’était que l’épidémie dure très longtemps et tarisse complètement nos ressources. Heureusement, le gouvernement a adopté certaines mesures de soutien pour nous soulager en termes d’impôts et de crédits. L’épidémie ayant été progressivement maîtrisée, nous avons repris le travail vers le mois de mars 2020, et l’économie nationale en Chine s’est progressivement redressée.

Comment as-tu eu l’idée de lancer ce projet de collecte de fonds pour la France ?

Je me souviens que lorsque j’ai commencé à suivre la situation épidémique à l’étranger, la carte française était encore de couleur orange pâle, mais elle est vite devenue orange foncé avec 5 000 à 6 000 cas confirmés en quelques jours. Je me demandais comment les Français allaient réagir face à l’accélération de l’épidémie, surtout quand j’ai lu les actualités sur le manque de matériel médical. La France est un pays où habitent beaucoup de parrains et marraines, et en tant qu’ancienne filleule, je sentais qu’il m’était urgent de faire quelque chose, dans la mesure où ce pays était dans une situation grave.

La première chose à laquelle j’avais pensé était de contacter Couleurs de Chine, mais le numéro téléphonique que j’avais ne fonctionnait plus. La crise ne pouvait pas attendre, alors j’ai commencé à chercher d’autres solutions. J’ai donc discuté avec le chef de mon village natal, et je me suis mise à rechercher des solutions logistiques. Finalement, j’ai abandonné l’idée d’envoyer du matériel médical au nom du village à cause de la complexité du processus administratif qui dépend de l’autorisation des divers gouvernements locaux, mais l’idée m’est venue que je pouvais quand même lancer une campagne de collecte de fonds en privé puisque je connais pas mal d’anciennes filleules autour de moi.

Comment es-tu entrée contact avec les anciennes filleules ? Quelle a été leur réaction ?

Sur un coup de tête, j’ai d’abord partagé mon idée avec le groupe WeChat de mon collège où il y avait pas mal d’anciennes filleules. Le premier jour, je n’ai reçu que 600 yuans de ma grande sœur, une amie à ma sœur qui vient du même hameau que moi. J’étais très déçue. Quand nous avions besoin d’aide, les parrains et marraines nous l’ont fournie et nous en étions très heureux. Maintenant quand ils sont en difficulté, pourquoi ne faisons-nous rien ? Sommes-nous devenus tous ingrats ? J’étais en une telle colère que j’ai publié mes sentiments sur mon cercle d’amis de WeChat avec beaucoup de franchise. C’était vers le 25 mars. À la suite de ces publications, des gens ont commencé à me contacter dès lendemain matin et me dire leur volonté de contribuer. Beaucoup d’entre eux m’ont dit : « nous ne sommes pas comme ce que tu as dit, nous avons reçu leur aide et nous avons également envie de les aider maintenant. »

Comment s’est déroulé ce projet ? Quelles difficultés as-tu rencontrées ?

Le jour de ma publication sur WeChat, plus de 50 personnes au total ont fait un don, et vers le 16 ou 17 avril, j’ai reçu au total 7 168,6 yuans.

Puisque l’argent venait de beaucoup de monde, j’ai monté un groupe WeChat avec l’objectif de partager toutes les informations sur cette campagne avec toutes les personnes concernées. Notre idée était de lever du fonds pour acheter du matériel et l’envoyer en France. Avec le temps, de plus en plus de gens sont entrés dans ce groupe et ils ont aussi fait des dons. J’ai pris note du nom de chaque donateur et son montant de donation, et j’ai publié aussi en temps réel les entrées et les sorties des fonds. La Fédération de Charité de Liuzhou m’a beaucoup conseillée sur la bonne façon de lever des fonds légalement et d’en tenir la comptabilité.

En outre, des personnes ont aussi commencé à m’aider à chercher du matériel. Nous avons d’abord contacté des pharmacies à Liuzhou pour acheter des masques à usage médical, et puis on a pensé contacter les fournisseurs directement. Par l’intermédiaire de Yao Xiaoyan, qui est médecin à l’hôpital, nous sommes entrés en contact avec des entreprises de matériel médical qualifiées. Le directeur de l’hôpital nous a aussi aidés à négocier pour obtenir un prix préférentiel, et finalement nous avons acheté 1 000 masques.

Dès que nous avons eu ces masques à disposition, nous avons rencontré notre premier gros obstacle : la douane. Nous ne savions pas si le colis allait être saisi ou confisqué. On a discuté pendant presque une semaine, j’ai même appelé la douane mais je n’ai pas pu obtenir des réponses claires. J’ai aussi contacté l’ambassade de Chine en France, qui m’a confirmé que la France n’allait pas confisquer les masques sans raison, surtout compte tenu de la faible quantité de nos masques par rapport au seuil légal de déclaration de 5 millions. Cependant, nous n’étions toujours pas sûrs que ces masques pouvaient être acceptés par la France pour leur qualité.

Le choix du lieu de livraison était un autre gros souci. Nous avons décidé d’envoyer les premiers 1 000 masques comme un test dans un premier temps. Nous avons comparé différentes options de livraison, et la poste nous paraissait la plus raisonnable. Cela nous a quand même coûté presque la moitié du coût des masques. Malheureusement, le colis est resté à la douane de Guangzhou pendant très longtemps, et la poste m’a finalement informée que la douane allait retourner notre paquet le 5 avril. Je passe tous les détails, mais j’ai passé beaucoup de temps à communiquer avec le service client de la poste à Liuzhou et à Guangzhou et avec la douane, et on a essayé tous les moyens possibles par téléphone et en ligne. Malgré nos efforts, nous n’avons pas pu envoyer ce premier colis en France.

Et puis, par le biais de Couleurs de Chine, j’ai été mise en contact avec Fengyu, qui, avec son association basée à Nancy, a déjà organisé plusieurs envois des masques depuis la Chine vers la France pendant cette épidémie. Elle est très compétente et efficace, et a accepté de nous donner 1 100 masques. Concernant notre premier colis de 1 000 masques, compte tenu des difficultés de la douane et le fret, nous avons décidé de les donner aux écoles locales de notre canton natal, et Couleurs de Chine nous a aidés à contacter le bureau de l’éducation à Rongshui, qui nous a dirigés d’abord vers le collège de Gongdong, et puis finalement l’école primaire de Danian. Nous avons ainsi envoyé ces masques le 8 mai.

Comment tu te sens maintenant ?

Dès le début de ce projet, j’avais l’idée que nous sommes de la même famille que nos parrains et marraines, et nous allons faire notre mieux pour les aider, que ce soit par l’argent ou l’effort. Au début, c’était un peu difficile, mais comme on dit souvent, « le début est toujours le plus difficile », et les retours sont bien meilleurs pendant le déroulement du projet. Ce qui m’a beaucoup touchée est l’implication de toutes les personnes avec qui j’ai été en contact. Stéphanie, en France, était toujours en relation avec moi pour coordonner l’envoi du colis. En fin de compte, j’ai découvert qu’il y a partout de personnes très gentilles et généreuses dans ce monde, que ce soient les parrains et marraines, qui nous ont aidés à aller à l’école, ou les personnes qui participent activement à cette activité de collecte de fonds pour apporter une petite contribution… Tout le monde est très attentionné.

J’ai reçu beaucoup d’aide tout au long de ces mois. D’abord, mon mari m’a beaucoup soutenue. Il trouve que c’est une bonne idée de redonner à la société et est content de ce que nous faisons. Mon chef m’a aussi donné des bons conseils sur l’aspect juridique pour gérer cette levée du fonds. Ma grande sœur n’a non seulement donné de l’argent, mais elle a aussi soutenu mes activités. Enfin, tous ces gens qui ont donné à cette campagne ont fait leur mieux pour contacter les différents interlocuteurs et trouver les différentes ressources. Ce n’est pas un projet à moi seul, ensemble, nous, les enfants du Pays Miao, avons pu réussir quelque chose.

Un mot pour nos parrains et marraines ?

Nous souhaitons vivement que ces masques arrivent aux Français rapidement. Nous ne tenons pas à donner ces masques à une telle ou telle personne. La France n’est pas un pays avec une grande population, et j’imagine que nos parrains et marraines, et leurs familles et amis habitent partout en France, donc ils auront toujours l’occasion d’utiliser nos masques et sentir notre amour. Tant que notre amour atteint la France, nous en sommes contents.

De la part des enfants du Pays Miao, je souhaite le meilleur à nos bien-aimés parrains et marraines français. En France, vous devez vous protéger et prendre soin de vous. Au printemps prochain, sous les arbres en pleine floraison, nous vous donnons le rendez-vous au Pays Miao.