En 2015, le gouvernent central chinois a établi comme objectif d’éliminer complètement la pauvreté absolue en Chine en 2020. Malgré le ralentissement temporaire du développement économique pendant le début de la crise Covid-19, ce projet a été poursuivi avec détermination. Le 23 novembre 2020, la province du Guizhou a annoncé la sortie de neuf derniers cantons de la classification « canton de pauvreté », ce qui signifie que l’objectif est atteint.

Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a plus de pauvreté en Chine et que vos filleules n’ont plus besoin d’aide ?

En toutes gentillesse et sympathie, vous pourriez me dire : « Bien sûr que non, c’est relatif, et les familles de la campagne gagnent toujours moins que celles de la ville. »

Vous auriez entièrement raison. Le seuil de pauvreté en 2020 est de 4 000 RMB par personne par an (revenu net), soit environ 500 euros. À titre de comparaison, le salaire minimum dans un canton du Guangxi a été établi à 17 160 RMB (soit 2 145 euros) en 2020, et le salaire minimum à Shanghai est de 29 760 RMB (soit 3 720 euros) cette année. En outre, le coût de la scolarité d’une année d’université est en moyenne de 5 000 RMB à 7 000 RMB, et les spécialisations en arts peuvent aller jusqu’à 20 000 RMB. Ainsi, il y a encore un long chemin à parcourir pour les familles qui viennent de sortir de la pauvreté.

Néanmoins, je voudrais vous en dire un peu plus sur la pauvreté que j’ai vue et comprise ici, à Danian, et ce que signifie le financement de votre filleule.

À part la pauvreté matérielle que vous connaissez probablement déjà, il y a la pauvreté de tout un système de soutien social, qui inclut des hôpitaux et cliniques, avec des médecins et des médicaments relativement fiables, des lieux culturels tels que la bibliothèque, le musée, le cinéma ou la librairie… des structures de soutien aux parents comme la crèche ou l’aide après l’école, ou encore des commerces ou des organisations à but non lucratif qui enrichissent la vie quotidienne en termes de diversité, de bien-être et de développement de la personnalité.

Ainsi, grâce à votre parrainage, l’existence de Couleurs de Chine en tant qu’ONG à Danian apporte de la diversité à ce système de soutien social qui va se construire petit à petit grâce aux apports de multiples acteurs, entreprises, gouvernement, et individus comme vous et moi.

Il existe aussi une forme de pauvreté en matière de connaissances et de compétences, à part celles enseignées dans un système d’éducation classique. Je voudrais citer à ce titre la capacité à s’exprimer. J’ai rencontré une collégienne qui m’a dit qu’elle n’avait jamais eu connaissance de ses notes d’examen, car l’enseignant les publiait toujours dans le groupe WeChat des parents. Elle n’a pas de portable et n’ose pas en parler à l’enseignant. Que ce soit par timidité, par peur ou par sa façon d’exprimer ses besoins, cette jeune fille ne sait pas encore faire une demande de ce qui constitue ses besoins basiques.

Un autre exemple concerne les connaissances en matière de nutrition et d’alimentation. Après l’école, on voit beaucoup d’enfants faire la queue dans des petites boutiques pour acheter des bonbons ou d’autres produits industriels bon marché mais de mauvaise qualité. Ils se sont accoutumés à ce type d’alimentation très salée, sucrée ou épicée ; beaucoup perdent de l’appétit quand on leur présente un plat sain et équilibré. La raison principale est qu’ils ne connaissent pas les conséquences sur leur corps de la consommation de ces produits, qui sont en fait plus facilement abordables pour eux.

Autre expression de cette pauvreté en matière de connaissances : la notion de l’argent. Quand nous leur avons posé la question : « À ton avis, combien coûtent tes frais de vie d’un semestre ? », les filleules étaient perplexes et beaucoup nous ont répondu : « Je ne sais pas, mes parents me donnent de l’argent quand je n’en ai plus. » L’argent est un concept complexe pour elles : elles savent qu’elles en ont besoin mais ne savent pas comment l’utiliser pour leurs propres besoins. Toutes ces connaissances et compétences, coutumières aux enfants de leur âge vivant dans les grandes villes, sont pour elles beaucoup plus difficiles à développer.

Ainsi, une ancienne filleule m’a expliqué le sens du parrainage tel qu’elle conçoit : « En fait, ce n’est pas tellement l’argent qui compte. Pour nous, être sélectionnée comme filleule dès le primaire nous offre une garantie, car toute la famille sait que durant tout le parcours scolaire, nous allons être soutenues par une organisation. » Cette garantie donne de l’espoir, de la confiance et de la stabilité à de multiples familles en précarité pour lesquelles rien n’est vraiment certain ni stable : on n’est pas sûr de la récolte de l’année à cause des caprices du temps, on n’est pas sûr du revenu familial quand beaucoup font un petit boulot à gauche et à droite et on n’est pas sûr de l’avenir car une maladie grave peut facilement endetter une famille et l’obliger à revendre une partie ou la totalité de ses biens.

Par ailleurs, un parrainage, surtout quand une filleule dispose d’un parrain ou d’une marraine, ouvre une porte de communication pour les filleules, des enfants qui vivent souvent seuls avec leurs grands-parents car leurs parents travaillent en ville pour gagner l’argent de toute la famille. Ces grands-parents, très attachés à leurs petits-enfants, n’ont pour la plupart jamais reçu la moindre éducation, ils se contentent de les nourrir, sans pouvoir les aider à progresser dans leur scolarité.

Quand je pose aux filleules la question : « Est-ce que tu téléphones souvent à tes parents ? », la plupart me répondent non, et la plupart d’entre elles ne savent pas où leurs parents travaillent et quel est leur métier. Le parrainage représente ainsi pour ces filleules une opportunité d’échange qui leur permet de rencontrer des gens venus de l’extérieur de leur village, d’écrire quelques phrases qu’elles portent dans leur cœur, ou de discuter un peu avec une personne qui se soucie d’elles.

L’élimination de la pauvreté est l’un des objectifs fondamentaux du développement durable de l’ONU pour 2030, mais c’est une tâche du long terme et, en dehors des simples chiffres, comprendre les causes et l’origine de la pauvreté pour la faire disparaître à terme est encore plus important.

On dit en Chine qu’il faut 10 ans pour faire grandir un arbre et 100 ans pour faire grandir une population par l’éducation. L’éducation est un des outils les plus efficaces pour lutter contre la pauvreté, même si ses effets ne se font sentir que beaucoup plus tard.

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